Perdue dans les Alpes : La reconnexion avec ma nature
Écrit par Luiza Oliveira et dégusté et pimenté par Lucía Requejo
Je me souviens encore de l’époque où la nature était un refuge pour moi, un lieu de repos et de jeu dans mon enfance. J’avais l’habitude de marcher pieds nus partout, de grimper aux arbres, de trouver de nouveaux chemins dans le bois, de courir et créer des aventures avec mon frère, mes cousines et mes cousins. Mes grands-parents vivaient dans une maison dont l’arrière-cour se prolongeait et devenait la forêt. Ainsi, il était naturel pour moi de voir la forêt comme un prolongement de notre zone de jeux.
Un jour lorsque j’avais environ 7 ans, j’étais dans une de mes promenades pieds nus au milieu du bois et je me suis fait piquer par quelque chose au pied. Je peux encore me souvenir de la sensation de la propagation rapide de l’éruption cutanée dans tout mon corps. À ce moment-là, je n’y ai pas pensé deux fois, j’ai commencé à courir chez ma grand-mère. Au moment où je suis arrivée jusqu’à l’évier extérieur, je pouvais voir comment ma peau s’était épaissie et chaque bout de mon corps me grattait très fort. Je savais que j’avais besoin d’un adulte pour m’aider.
Quelques minutes plus tard, mon père m’a emmenée à l’hôpital, j’ai reçu des médicaments par voie intraveineuse et je me souviens que s’en sont suivis quasiment trois jours de sommeil d’affilée.
Après cet épisode, j’ai appris que je devais toujours marcher avec mes chaussures et que je ne devais plus aller aussi loin dans les bois… et je peux encore me relier à la tristesse de cette journée. Je me souviens d’avoir dit au revoir à mes grands-parents et d’être rentrée chez mes parents, à São Paulo, à une heure et demie de route de mon petit paradis, à Araçoiaba da Serra.
Suite à cet incident, à chaque fois que je me suis fait piquer par un insecte, je me suis précipitée aux urgences. Cette allergie a induit en moi la peur précisément de l’endroit où je pouvais courir librement, de l’endroit où je n’avais pas peur d’être moi-même, où le sauvage n’était pas quelque chose d’étrange, mais un espace infini d’inspiration et de jeu.
J’ai grandi principalement en ville et au fil des années, ma vie est devenue de plus en plus occupée et j’avais rarement le temps de raviver un peu mon rapport avec la forêt.
J’ai commencé mes études de médecine et, lorsque j’avais du temps libre, la nature à laquelle je réussissais à me relier était très domestiquée et sécurisée. Je me suis tout de même fait piquer par des insectes et encore une fois, j’ai été assommée pendant encore 3 jours.
La vie a continué et j’ai déménagé en Suisse. J’ai changé de profession. Je me suis mariée. En 2012, mon mari a mentionné un cours qui s’est achevé par une quête de vision au milieu des Alpes suisses. À l’époque, je n’étais pas familière avec le terme ou le rituel, mais l’idée de passer 4 jours dans les bois par moi-même sans tente, sans nourriture, sans voir ou entendre un autre être humain résonnait comme un paradis, et cela m’a amenée à réaliser un désir que j’avais de renouer avec le sauvage à un niveau plus profond.
Je me suis donc inscrite et j’ai préparé mon sac à dos, puis je me suis mise en route. L’atelier a commencé. J’ai appris le contexte culturel d’où est issu ce rituel et ses diverses interprétations. J’ai commencé à me sentir plus proche de moi-même, de la nature. Jusqu’à ce que, soudainement, la veille au soir, avant d’aller à la montagne pour trouver ma place et commencer les 4 jours de retraite silencieuse, sans nourriture ni tente, je me suis rappelée que la dernière fois que j’ai vécu une expérience de camping dans ma vie … c’était chez mes grands-parents… dans leur jardin… L’inquiétude a commencé à envahir mon corps… et j’ai commencé à penser: «Pourquoi est-ce que je fais ça? Qu’est-ce que j’essaie de prouver avec cette action insensée? » Et ainsi de suite… La nuit s’est poursuivie et je me souviens encore du beau soleil qui se levait au milieu des montagnes comme s’il s’agissait d’une journée normale. De l’extérieur, vous auriez dit, me voyant, une personne normale fatiguée. De l’intérieur, j’avais peur, ma tête tournait à 1 000 kilomètre à l’heure dans tous les sens.
La matinée a commencé et, en groupe, nous avons marché ensemble jusqu’au camp de base sur la montagne. À partir de là, les instructions étaient claires: «Trouvez votre emplacement loin du camp de base et de toutes les autres personnes. »
Cette région est incroyablement belle et est connue pour être un couloir pour les animaux sauvages comme les ours et les loups entre la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne et le Nord de l’Italie. Je savais qu’ils étaient là, mais cela ne me dérangeait pas car ce qui me faisait le plus peur, c’étaient… les insectes potentiels pouvant croiser mon chemin. En même temps, j’essayais de me rassurer en pensant que j’avais mon médicament et mes pilules sous le coude.
J’ai commencé à marcher tout seule, le battement de mon coeur était déjà rapide, je ne pouvais pas vraiment apercevoir la direction de mon sentier… j’ai fait des exercices de respiration, j’ai essayé de me centrer… Tout m’a semblé inutile… mais j’ai quand même réussi à trouver le courage de quitter le camp de base.
A chaque fois que je sentais que j’avais trouvé un endroit pour mettre ma bâche pour me protéger de la pluie et m’installer pendant les 4 jours suivants, je tombais sur une fourmilière tout près, sur des guêpes qui se baladaient à côté de moi ou sur une ruche.
À un moment donné, j’ai commencé à sentir que je tournais en rond et que je ne pouvais pas retrouver mon chemin vers le camp de base… Le temps passait et je ne pouvais pas trouver ma place, je ne pouvais pas trouver une place… Et je me suis perdue… Je me sentais épuisée et j’ai commencé à me demander: “Qu’est-ce que je fais ici?” La réponse est venue d’un coup. L’anxiété et la peur ont déclenché à une profonde tristesse. J’ai pleuré d’une manière dont je n’ai pas pleuré depuis la mort de mon frère… J’ai pleuré comme si cette tristesse était une rivière souterraine qui venait de trouver un moyen de remonter à la surface.
Après que le tsunami de larmes ait quitté mon corps, j’ai retrouvé le sentiment de tristesse et je me suis demandé: «Pourquoi suis-je si triste maintenant?» Et la réponse a été suivie d’une autre vague de larmes. Je me suis rendu compte que j’étais en train de pleurer parce que j’étais dans cette montagne incroyable, au milieu des Alpes, et je ne pouvais pas trouver mon endroit pour renouer avec la nature, et le problème était clair… Le problème n’était pas l’endroit; le problème, c’était moi, le problème était en moi.
Après le moment désespéré suivi par la reliance avec cette tristesse plus profonde que j’avais niée pendant plus de deux décennies. J’ai décidé de reprendre ma responsabilité pour cela. J’ai soulevé mon sac à dos du sol, j’ai suivi le soleil, j’ai retrouvé mon chemin vers le camp de base, sachant que le rituel avait été déjà enclenché.
Ma réconciliation avec mon moi sauvage était sur le point de commencer.
Texte original écrit en anglais et publié sur Permaculture Women Magazine.